vendredi 3 septembre 2010

bienvenues aux variations atmosphériques

"Nous vivons entre deux dangers: l'éternel gémissement de notre corps, qui trouve toujours un corps acéré qui le coupe, un corps trop gros qui le pénètre et l'étouffe, un corps indigeste qui l'empoisonne, un meuble qui le cogne, un microbe qui lui fait un bouton; mais aussi l'histrionisme de ceux qui miment un événement pur et le transforment en fantasme, et qui chantent l'angoisse, la finitude, la castration. Il faut arriver à "dresser parmi les hommes et les oeuvres leur être d'avant l'amertume". Entre les cris de la douleur physique et les chants de la souffrance métaphysique, comment tracer son mince chemin stoïcien, qui consiste à être digne de ce qui arrive, à dégager quelque chose de gai et d'amoureux dans ce qui arrive, une lueur, une vitesse, un devenir ?
(...)

Faire un événement, si petit soit-il, la chose la plus délicate du monde, le contraire de faire un drame, ou de faire une histoire. Aimer ceux qui sont ainsi : quand ils entrent dans une pièce, ce ne sont pas des personnes, des caractères ou des sujets, c'est une variation atmosphérique, un changement de teinte, une molécule imperceptible, une population discrète, un brouillard ou une nuée de gouttes. Tout a changé en vérité."

Gilles Deleuze & Claire Parnet, Dialogues, Flammarion, 1996