jeudi 3 juillet 2014

Le Syndrome de la Position de Pronation - The Prone Position Syndrome

Dans un article publié sur Massage Today, le formateur David Lauterstein attire l'attention des masseurs.ses sur les effets contre-productifs - voire douloureux - de la position de pronation (massé.e allongé.e sur le ventre) lorsqu'elle est maintenue trop longtemps en séance. Sinus congestionnés, visage et mâchoires déformées... Nuque raide... Hanches raides... Lacunes, manque d'intégration du travail... 

Aussi évident que cela puisse paraître, il s'agit là d'une "erreur" ou "inattention" commise fréquemment par les débutant.es en massage, parfois paradoxalement dans une volonté de trop bien faire. Les masseurs.ses expérimenté.es ne sont néanmoins pas à l'abri de la faire pour d'autres raisons, comme nous allons le voir... 

Les points et suggestions que David Lauterstein soulèvent à ce sujet sont une bonne occasion de corriger cela, et réviser sa pratique au passage. Je vous recommande donc de lire son article ICI en anglais, et vous transmet ci dessous quelques points traduits et traversés de quelques unes de mes propres remarques. 

1. Lorsque toute l'emphase donnée au massage ne se concentre que sur le dos, le risque est de laisser la personne allongée sur le ventre trop longtemps. Un des moyens d'éviter cela est de bien prendre le temps de discuter avec le client de son état d'être et son histoire en début de session, afin de pré-établir un "plan" de travail/soin pour son massage, qui portera sur la totalité de son corps, avec des points d'attention particulières pour certaines zones/membres. Visualiser ce parcours, en faire part, comme une proposition, au client, permet une approche plus balancée incluant des changements de position sur la table. Ce plan peut bien sûr rester susceptible de se modifier au gré de ce qui sera rencontré dans le corps, dès lors que la totalité est pensée avec. En début de massage, lorsque vous entrez avec le toucher, faites d'abord un "tour de reconnaissance" doux et senti (je le fais par dessus le tissu d'un paréo, comme dans la tradition biopulse!) qui vous permettra d'identifier les zones de tensions et vous donnera un aperçu d'un "plan"/ déroulé possible sur l'heure (surveillez votre temps si besoin). Tout cela permet de ne pas oublier que le dos est bel et bien relié au reste du corps, et qu'il ne souffre jamais seul... Les masseurs.ses averti.es. savent d'ailleurs qu'il n'est pas forcément toujours le premier (ou le plus important) à traiter, quand bien même il serait le "plus" douloureux, ou le plus "demandé"...

2. Conseil en or, qui selon moi vaut d'ailleurs pour tout (et qui, je pourrais y revenir, est une des grandes simplissimes leçons en massage biodynamique) : LESS IS MORE. En français : Moins, c'est mieux. Ou si vous voulez aussi: Le mieux est l'ennemi du bien. Trop de travail sur une même zone en souffrance et/ou tension finit par être contre-productif. Comme le note à juste titre David Lauterstein, une grande partie des effets positifs du massage proviennent du fait que le système nerveux est amené par votre soin à basculer dans un état de relaxation, qui participera du soulagement global et local, qui emmènera -parfois à lui seul- les tensions qui emprisonnent les muscles. Trop insister, trop répéter ses manoeuvres sur une même zone reviendrait à se mettre à donner des ordres aux muscles de son client... A stresser, finalement, tout le système...

3. Monotonie ? Penser à varier le tempo ! Et ainsi à ne pas vous "endormir" sur une zone, ni à endormir totalement votre client.e (qui perd alors une occasion d'en apprendre par le ressenti sur son corps, et de dialoguer non-verbalement avec votre toucher, note l'auteur). En général, 3 ou 4 répétitions d'une même manoeuvre sont un bon équilibre:  assez pour que le système nerveux "sache" avec confirmation ce qu'il reçoit, mais pas trop, pour ne pas qu'il s'en "désintéresse". 

4. Le client.e lui même n'a pas toujours (encore) conscience ou connaissance des rapports entre la douleur forte dans son dos et le reste de son corps, son histoire, ses habitudes posturales etc. Ainsi, sa demande ne concernera d'abord bien souvent que le dos (ou sinon, logiquement, la zone où il/elle a le plus mal). Il est évidemment essentiel de prendre en compte cette demande et d'aborder les zones qu'il ou elle souhaite vivement sentir travailler (et de ne pas attendre la dernière minute du massage pour y poser la main). Toutefois, j'ai envie de dire, votre art ne doit pas obéir à l"'ignorance" ou aux lacunes mais bien plutôt aux "savoirs" qui sont entre vos mains, à vous, et pour lesquels on vient vous voir. Ainsi il est à mon sens de votre responsabilité professionnelle, si l'on peut dire, de ne pas négliger le reste du corps de votre client.e et même mieux, de voir là une opportunité "sensorielle"-pédagogique énorme pour la personne que vous massez. Elle retira bien plus, et pour bien plus longtemps, de votre approche intégrative et "éducative", que d'une réponse littérale à sa demande initiale. N'hésitez pas à fournir quelques explications anatomiques ! Faire cela, c'est aussi ouvrir un fantastique champ de mieux-être pour la personne, qui percevra alors des moyens de corriger ses postures au jour le jour, comprendra quels exercices peuvent être bons pour elle. Cela pourra même inaugurer une série de massages ensemble évoluant de plus en plus vers un "sur-mesure" riche et créatif. 

5. Vous ennuyez vous en massant ? Vous vous ennuyez et vous ne vous êtes même pas aperçu que vous ne faites plus l'effort de construire un massage ? Vous étalez machinalement la pâte à tarte ? David Lauterstein soulève ici un point qui peut faire mal à l'ego du masseur, mais sur lequel il est salutaire de ne pas faire de tabou. Oui, il arrive de s'ennuyer, d'être las et fatigué, comme cela peut arriver dans n'importe quelle profession, même les plus créatives, même lorsqu'on adore son métier. Pas de panique, ce n'est pas une fatalité... Cela ne signifie pas pour autant que vous n'aimez plus ce que vous faites au fond, simplement que vous avez peut-être un peu décroché, pour des raisons qu'il vous faut analyser. Ensuite c'est très facile à corriger ! Souvent, il ne s'agit que de repos. Reposez-vous ! Encore mieux (on ne saurait trop vous le répétez) re-découvrez les joies et variétés de votre art en vous faisant masser VOUS ! 

6. Attention: lassitude et fatigue peuvent conduire au final à la négligence chronique... Votre client est peut-être le septième du jour et le 30ème de la semaine pour la 10ème semaine consécutive... Vous avez à peine pris une pause pour déjeuner... Vous êtres trop crevés pour prendre soin de vous vous même.. Vous n'avez plus pour lui/elle ce que vous aviez pour les premiers... Et vous remettez cela le lendemain... Et vous laissez vos client.es sur le ventre, et vous passez au suivant... Plus rapide, plus simple... Peut-être pire que l'ennui, nous avons ici quelque chose que je qualifierai volontiers d'erreur professionnelle, glissant sur une mauvaise pente... Ne faites pas la course à l'échalote ! Quand bien même vos besoins financiers vous inciteraient à trop accepter de clients, quand bien même vous ne voudriez pas décevoir un grand afflux de nouveaux clients, ne les mal-traitez pas finalement par cette négligence, ne vous détruisez pas vous ainsi que votre pratique dans un souci absurde de productivité et l'aliénation à la tâche. Les contraintes sur l'être vivant imposées par le travail dans les sociétés capitalistes avancées ont déjà bien assez d'effets adverses terribles sur les vies actuelles (si vous voulez mon avis) pour ne pas que vous en rajoutiez dans la salle de massage. Par pitié, ne laissez pas ces déformations vous pénétrer, ne les laissez pas pénétrer l'art du massage gardien d'une tout autre éthique/approche de la vie. Créer, pour vous, pour votre cabinet, pour votre pratique, pour vos client.es le monde sain et harmonieux dans lequel vous voulez vivre, et proposer d'emmener vos visiteurs. Vous serez mieux, et vos clients vous en seront profondément reconnaissants... Le massage commence lorsque la personne entre dans la bulle que vous lui ouvrez, lorsque s'ouvre pour eux une trêve avec les maltraitances extérieures. Ne gâchez pas cela. 

7. Enfin, dernier point. Peut-être est-ce tout simplement un manque de connaissances de votre part, des lacunes qui font que vous ne savez aborder les douleurs du dos que par le dos. Ainsi par exemple, avez-vous conscience que les omoplates sont intégrées à l'avant par la ceinture osseuse scapulaire ? Que les pectoraux sont bien souvent impliqués ? Que parfois le seul fait de restaurer une respiration abdominale libérera grandement le thorax et le dos ? Personnellement, lorsque vient à moi une personne très contractée dans la partie supérieure du dos, à la respiration très superficielle, je préfère avant toute chose ouvrir notre séance par un travail d'accompagnement/ouverture respiratoire sur le thorax (souvent interactif d'ailleurs, avec dialogue)... Qui ouvrira pour un travail du dos ensuite... Sans quoi, je ne ferai qu'y rebondir, sans cesse repoussée par le bouclier musculaire... Continuez à vous formez, gardez vos manuels à portée et ouvrez les régulièrement, échangez avec vos collègues sur les cas rencontrés... Nous n'avons jamais fini d'étudier... 

Enfin, je rajouterai un dernier point, qui n'est pas abordé dans l'article: 

Lorsque nécessaire, pensez à corriger légèrement la posture de la personne une fois allongée sur le ventre (restaurez un bon alignement par exemple), pensez à utiliser et sachez manier les accessoires ("props") pour améliorer le confort de sa position sur la table. Ajoutez une têtière si besoin, réglez son niveau. Certaines personnes auront besoin de coussins pour combler le vide entre la table et leurs chevilles, d'autres de coussins sous le thorax pour créer de l'espace pour leur poitrine ou ventre volumineux. Cela minimisera les effets adverses d'une posture allongée sur le ventre. Mais attention: que cela ne vous rende pas paresseux au moment d'inviter votre client.e à en changer !!


Bonnes pratiques à toutes et tous !