mardi 25 mars 2014

Pour une approche globale de l'être, au delà des distinctions disciplinaires ?

Les lecteurs de l'anglais peuvent lire cet article intéressant, The psychotherapy of massage: What makes us human ? publié dans Massage Today. Il est écrit par Gerry Pyves, britannique à double casquette de masseur et de psychothérapeute, qui revient sur la difficulté, pratique, philosophique, à maintenir séparés entre disciplines distinctes les soins de l'esprit et du corps. Ci-dessous en français, le rendu et les réflexions suite à ma propre lecture. 

La déontologie veut qu'un masseur bien-être ne se mêle pas des états-d'âmes de son client, et respectivement, qu'un psychanalyste ou un psychothérapeute (non corporel en ce cas) n'intervienne pas sur le plan physique de son patient, n'entre pas en contact avec son corps. Notons que cette distinction vaut surtout dans le système de soin occidental, plutôt que dans le système oriental (en médecine traditionnelle chinoise par exemple), où cette distinction pourrait tout autant être perçue comme une absurdité. Mais dans nos cultures modernes du soin, la distinction existe, souvent pour de bonnes raisons. 

Premièrement, il s'agit de rester en adéquation avec la demande originale de la personne, qui consulte généralement un masseur ou un psychothérapeute pour des motifs différents. Ces motifs de visite requièrent donc des prises en charge adéquates par les praticiens. Il y a aussi ensuite bien sûr la question importante de l'intégrité professionnelle, relativement notamment aux qualifications du professionnel consulté, qui commande qu'un masseur ne s'improvise pas psychothérapeute et inversement, ce qui pourrait en effet être néfaste tant au client qu'au professionnel de soin lui-même (la psychanalyse met par exemple en garde sur la question du transfert). La ligne de démarcation entre les deux disciplines, l'une liée au soin du corps, l'autre au soin de l'esprit, existe donc pour des raisons de "sécurité" des deux parties. Ceci étant dit... 

... Il est évident que la séparation entre le corps et l'esprit n'est jamais si nette - en tout cas, on le lui souhaite pas de l'être ! Aucun bon professionnel du soin ne souhaiterait à cette séparation d'être si nette, chez qui prétend à être heureux et en possession de ses moyens. De même, chaque professionnel du soin, qu'il soit "spécialisé" dans l'esprit ou le corps, aura constaté, s'il fait bien son travail - j'entends par là, si le bien de l'humain est l'intention qui le guide - que les différents plans de l'être sont en très étroites relations, et qu'une action menée sur un plan résonne potentiellement sur tous les autres. Comment dès lors, peut-on prétendre ne pas affecter du tout l'esprit lorsque l'on est masseur, ou ne pas affecter du tout le corps lorsque l'on est psychothérapeute ? Jusqu'où vaut la distinction entre les deux champs d'intervention ? 

Ce sont ces questions que Gerry Pyves, britannique à double casquette, de masseur et de psychothérapeute, taquine fort à propos dans son article. 

Il y confesse, et assume, avoir échoué "lamentablement" au fil de sa carrière à ne se tenir que d'un côté de la ligne lorsqu'il travaillait dans l'une ou l'autre de ses deux disciplines. Pourquoi ? Justement parce que, dit-il, ce qui fait que l'humain est humain ne se retrouve pas dans cette séparation corps/esprit. L'humain se vit dans l'intimité et les connections entre les différents plans de son être, que Gerry Pyves a pris l'habitude de modéliser ainsi: 

P: le plan Physique
E: le plan Énergétique
E: le plan Émotionnel 
M: le plan Mental
S: le plan Spirituel 

Masser (comme recevoir en psychothérapie) signifie potentiellement toucher, affecter, tous ces plans de l'être. Ainsi Gerry Pyves critique sévèrement (et à mon avis pertinemment) les praticiens en massage qui se perçoivent uniquement comme des "mécaniciens" du corps, et n'approchent la personne que comme un réseau de muscles et de tendons, sans autres substances aucunes. Dans la même ligne d'idée, il n'est pas besoin, selon lui, de sur-investir et, du même coup, astreindre, le massage à des systèmes de validations "scientifiques" ou médicales. Cela nuit, selon lui, à l'art complet du massage, à son vaste potentiel. 

Pire, cette tendance quasi obsessionnelle à la "médicalisation" plate et froide du massage nie l'impulsion originelle qui le guide, lui, dans l'exercice de son art. Dans une phrase - que j'aurais pu écrire et pour laquelle je suis reconnaissante - il affirme que s'il avait voulu devenir si "médical" dans son approche, il aurait tout simplement choisit une autre vocation... Une autre belle réflexion que Gerry Pyves nous offre dans cet article est sans doutes d'affirmer que, selon lui, les muscles du corps n'auraient finalement qu'une seule "origine" et qu'une seule "insertion": l'esprit. La réconciliation, et l'harmonie, des plans de l'être passe par cette considération, qu'une grande expérience et beaucoup de sensibilité ont rendu possible à l'auteur. 

Au final, l'article a le ton d'un manifeste pour une approche globale de l'être, et ses dernières lignes ont une justesse particulière, pour la simple raison que Gerry Pyves le praticien se place pour conclure en receveur, en destinataire des soins dont il a été question. Il réclame, comme de son droit, de recevoir une attention et un contact qui s'adresseront à l'ensemble de son être, et non à 1/5ème de lui. C'est cette écoute qui a le pouvoir de finalement détendre les muscles, affirme-t'il, bien plus qu'une manoeuvre technique sur la colonne vertébrale ou les tissus. 

NB: Gerry Pyves auteur de l'article qui est cité, est formé (et fort de 28 ans d'expérience) dans les deux professions. Il en quelque sorte qualifié pour argumenter cette position flottante, "perméable", entre les disciplines. A moins d'avoir nous aussi suivi un cursus double, ou des formations spécialisées complémentaires, ce n'est pas notre cas en tant que praticien.ne en massage bien-être. Il est évidemment important, sinon fondamental (pour soi, pour le client) d'avoir conscience de cette perméabilité entre les champs physique et psychologique, sans toutefois, s'improviser un professionnel qu'on est pas...