mardi 7 mai 2013

Froncer les sourcils

On m'a demandé récemment "Qu'est-ce que je peux faire pour arrêter de froncer tout le temps les sourcils ?" 

Voici des éléments de réponse, à partir desquels on pourra penser des moyens pour froncer un peu moins des sourcils dans la vie. 

D'un point de vue physique, il est intéressant de commencer par localiser et connaître l'action des muscles du visage impliqués dans le froncement des sourcils. 



Les orbiculaires des yeux clignent, entre-ouvrent/ferment, plissent les yeux. Les corrugateurs du sourcil (ou muscles sourciliers) froncent les sourcils en les emmenant vers le bas et en dedans. Le muscle pyramidal du nez (ou muscle procerus) abaisse les sourcils pour les froncer. 

Une tension excessive dans ces muscles peut être la source de céphalées. 
Les tensions chroniques peuvent également former un "masque" musculaire, avec à la longue apparition de rides. Par "masque" j'entends un visage à l'expression quelque peu figée dans des tensions musculaires chroniques et au registre expressif limité. Le caractère de la personne (ses dispositions face à elle, aux autres, à la vie) peut jouer un rôle dans la formation de ce "masque" à côté d'autres facteurs sociaux et environnementaux (cette conception est directement inspirée de la perspective Reichienne, j'aborde la psychologie plus loin).  

Notons pour l'instant que ces muscles de la face sont souvent les premiers soumis aux injections de botox. La fonction de cette toxine est d'inhiber purement et simplement l'action des muscles "fronceurs" de sourcils (la contrepartie est une diminution du potentiel expressif du visage, et un autre effet de masque). C'est une manière radicale (non sans risques) de résoudre le problème, mais ce n'est pas la réponse que la personne qui m'a interrogée attendait. 

Afin de déboucher sur d'autres procédés, étudions quelques facteurs susceptibles de créer un excès de tension dans ces muscles. Ils sont physiques, sociaux, environnementaux, et/ou psychologiques, et peuvent très bien se cumuler voire se renforcer les uns les autres. 

Il y a ceux liés à la santé: 
- Troubles visuels non corrigés (je fronce les sourcils dans mon effort pour accommoder ma vision). 
- Sinusite chronique (la congestion, les douleurs, les réflexes d'éternuement mettent cette zone de mon visage dans un état de tension quasi permanente) 
Fatigue générale (je suis trop fatigué pour accommoder mon regard, faire le point, je dois forcer mon regard) 

Il y a ceux liés au travail (type de tâche et conditions): 
- Tâche avec focalisation prolongée, toujours plus ou moins à la même distance visuelle, par exemple sur écran (je scotche).  
- Problèmes de luminosité, trop grande, trop faible, ou avec contrastes conflictuels (je me protège de l'éblouissement, ou bien, je cherche à discerner un texte malgré le contre-jour ou les reflets...) 

- Stress environnementaux (bruits, courants d'air, mauvaises odeurs). Si la personne est occupée à une tâche, ces stress peuvent causer une gêne à la concentration et/ou un excès de vigilance qui mettra le visage en tension et durcira les traits (je suis gêné dans mon travail donc je dois me "sur-concentrer"). Ces stress peuvent passer "inaperçus" alors même qu'ils sont perçus (en témoignent les tensions), ou bien ils peuvent être "niés" par la personne obnubilée (ou pressurisée) par la tâche à accomplir. Le temps de tension qui devait être bref semble alors s'éterniser. Le vent tourne et les muscles restent ainsi. Ou presque. 

Les derniers éléments considérés ensemble se rapportent à l'ergonomie du poste de travail, incluant la posture du corps, la forme et le positionnement du mobilier et des accessoires, les questions de luminosité et de contraste, ainsi que d'autres facteurs d'ambiance. Nous pensons aux employés de bureaux, mais tous les métiers, par exemple un conducteur de camions, un représentant qui passe beaucoup de temps en voiture, pourront avoir les mêmes critères à étudier. Notons qu'une mauvaise posture au travail peut communiquer son lot de tensions et de douleurs jusqu'à entre les sourcils. Les tensions cascadent souvent en chaine... 



D'un point de vue psychologique, des sensations nous traversent, des émotions, des sentiments, des pensées nous animent qui sont aussi (plus ou moins) exprimés physiquement. Elles sont interprétées comme une partition par des groupes de muscles dans le corps, en particulier par les muscles du visage, mais pas seulement. Le visage exprime aux autres qui nous sommes, ce que nous ressentons avec (idéalement) beaucoup de plasticité. Il est en quelque sorte le seuil de notre porte, une surface de réception (il concentre nos sens) et d'échanges avec les autres.  

Les sourcils froncés peuvent exprimer le doute, l'inquiétude, la tristesse, le mécontentement, la difficulté, la douleur, la colère, l'agressivité, etc. Ils communiquent quelque chose de nous sur le moment. Cette expression faciale peut servir à interpeller l'autre relativement à une émotion, mise en relief par la mimique (vois comme je boude), à appuyer une intention dans l'échange avec l'autre (vois comme je t'écoute attentivement OU j'entends mais je doute fortement de ce que tu es en train de dire), voire à feindre l'une ou autre (je fais mine de bouder pour t'attendrir OU je te fais voir que j'écoute attentivement mais en réalité je suis absent), à maintenir l'autre à distance (je ne suis pas ouvert/disponible), à intimider, à tenir en respect les autres (je suis potentiellement agressif) voire à les dominer (tu n'as aucune chance contre moi), etc. 

Par exemple au travail, nous pouvons envisager qu'en open-space, où les territoires de chacun ne sont que mollement délimités, froncer les sourcils la plupart du temps présente l'avantage de faire respecter son périmètre et permet de se garder des intrusions perturbatrices par les collègues. C'est en quelque sorte une solution fonctionnelle, un moyen de fermer boutique. Un parent qui ne souhaite pas être dérangé par ses enfants pendant le film du soir pourra vêtir cette même expression pour faire rideau... 




Notons qu'une expression faciale telle ne vient jamais seule. Elle est souvent un élément dans une posture globale, nous le savons, le corps tout entier exprime quelque chose. Les tensions de la face ont des tensions complices, associées dans tout le corps, même à distance. Ainsi quelqu'un qui veut s'affirmer en situation de force pourra communiquer cette ferme intention par une expression sur le visage, ainsi que par une posture droite, un torse bombé, les jambes légèrement écartées, les deux pieds ancrés dans le sol...

Mais dans quelle mesure une expression, qui aurait pu n'être qu'éphémère, devient-elle pratiquement acquise, comme une partie émergée d'un trait de caractère plus profond ? 

Par exemple, en ce qui concerne le froncement de sourcils: s'il m'importe beaucoup d'être perçu(e) comme quelqu'un d'attentif/ve à l'autre, ou bien encore comme quelqu'un de vraiment rationnel, de méthodique, et si je tiens à me définir ainsi, serai-je vraiment surpris(e) de constater que mes muscles insistent, ou disons, soulignent ce trait sur mon visage ? Si je ne connais que les soucis, devrais-je m'étonner qu'il me soit difficile de construire une autre expression ? Comment puis je éventuellement constater que froncer les sourcils me correspond,  "va plutôt bien" à ma personnalité ? 

En conclusion, pour cesser de froncer les sourcils tout le temps, sans botox, on peut d'abord prendre en considération l'ensemble de ces facteurs, et par exemple progresser vers les aspects psychologiques après avoir dans un premier temps identifié et agit sur les facteurs les plus "évidents". 

Quelques pistes / méthodes à explorer: 

- Explorer d'abord et traiter si besoin les causes physiques (rendez-vous chez l'ophtalmologiste  etc.). 
- Faire un "audit" de l'ergonomie de son poste de travail, et/ou de tout autre poste de la vie quotidienne où l'on a remarqué que le froncement de sourcils est aggravé, pour des raisons extérieures, et l'améliorer si besoin. 
- Prendre conscience de la fonction communicante de notre expression faciale, de son versant psychologique, l'observer sur soi en action. 
Il s'agit de se prendre "en flagrant délit" de froncer les sourcils le plus souvent possible, afin d'avoir une petite idée de ce qu'il se passe. Comment je me sens quand je fronce les sourcils ? Quand est-ce que je fronce les sourcils ? En présence de qui ? Pour signifier quoi ? Qu'est ce que ça m'apporte (est-ce que ça marche ?)? Ces observations pourront inspirer à chacun(e) des réajustements, des prises de conscience qui peuvent aider à infléchir la tendance tenace. 
- Pour contrer la tendance à froncer les sourcils, chaque fois que l'on se surprend en flagrant moment de le faire, on pensera à observer également la tension générale dans tout son corps. Consciemment, on relâchera la tension dans les yeux, le front bien sûr, mais aussi dans tous les muscles que l'on aura senti impliqués dans cette posture/disposition globale. En effet, si le froncement de sourcils participe d'une attitude envers quelqu'un ou quelque chose, il y a fort à parier que cette disposition n'est pas présente seulement au niveau des muscles de la face, mais aussi des autres muscles de tout le corps (jusque dans les orteils du pied). Relâcher seulement les muscles servant à froncer les sourcils n'aura qu'un résultat limité, puisque rapidement, la tension présente dans le reste du corps (par exemple les épaules) leur sera de nouveau communiquée. 
- Dans le cas où les facteurs psychologiques se révèlent très importants, et le froncement de sourcils comme le sommet d'un iceberg qui pris dans son ensemble représente un important gisement de changements positifs, on peut envisager l'accompagnement dans une psychothérapie. 
- Pratiquer régulièrement l'inverse, la contre-posture (tous les jours si il le faut). Cela dans des petits exercices de yoga de la face et des yeux (qui consistent notamment à entrainer son regard en suivant son pouce dans les quatre directions de l'espace, ou bien encore à contempler l'horizon, ou bien encore à grimacer comme le lion, sourcils dressés etc.) 
- Pratiquer des exercices de relaxation globale. 
- Faire des vraies pauses. Se reposer, dormir suffisamment 
- S'auto-masser, dans le sens des fibres musculaires (voir le schéma ci dessus) ou au contraire saisir, se pincer les muscles, décoller les tensions. 
- Se faire masser, visage et crâne (comme dans le kobido, voir mon menu) et/ou tout le corps. Mais un massage des pieds peut aussi très bien déplisser le front.  

Artwork: 
Jody Borton